Guitar Part n° 66 — septembre 1999

Guitar Zarb

JEAN-FRANÇOIS PAUVROS

PORNO BLUES

On en connaît des guitaristes qui rêvent de jouer sur le corps de femmes à oilpé, toutes fesses cambrées. Des qui le font et en concert, c'est déjà plus rare. Jean-François Pauvros est de cette litée qui chatouille la musique autrement, le bonheur sur le visage et le sourire aux lèvres.

Lorsqu'on a rendez-vous avec Jean-François Pauvros, ce serait vraiment faire preuve de mauvaise volonté que de le rater : ce grand chevelu à lunettes serait le sosie parfait de Joey Ramone. On adhère. Et on le suit chez lui pour qu'il nous parle de guitare et des choses de la vie. Le lieu est touffu, bourré de bouquins, d'instruments et de fringues. Des vinyles d’Hendrix et Deep Purple sont prêts à dégringoler de l'armoire. Il  nous invite à prendre une douche. On décline et on s'allume une clope, les oreilles grandes ouvertes. « J'ai passé mon enfance dans le nord de la France où chaque ville a sa "cavalcade", avec de nombreuses fanfares et groupes folkloriques (Gilles de Binche, Pierrots de Framerie) défilant dans les rues. A cette occasion, la notion d'aléatoire faisait de chaque auditeur le réel chef d'orchestre de ce qu'il entendait. La vraie découverte, c'était qu'au-delà des rythmes ou des mélodies fanfaresques exécutés se dégageait une autre poésie, une sorte de surimpression sonore qui racontait la rue, point de départ d'un autre imaginaire ». C'est donc l'oreille tordue que le jeune Pauvros aborde son premier disque électrique, un LP de Lightning Hopkins, dont il aimait avant tout « entendre le glissement de ses doigts sur les cordes, une manière de prendre sa guitare qui produisait tous ces bruits "tangents" qu'a priori un "bon guitariste évite" ». Archet de vio­lon, pince contre les cordes, tige de verre, couteau, fourchette en argent : le jeu de Pauvros, guitariste à son tour, allait gagner en diversité pour Ie plus grand plaisir des dérapages et de la découverte, avec une nette préférence pour l'analogique, « histoire de ne pas avoir le même son que les autres ».

Plaidant pour la variété des horizons et s'intéressant au rock seventies, à la musique tradi­tionnelle japonaise comme à l'improvisation, Jean-François (on se tutoie ?) a croisé le fer de musiciens aussi barrés que Jac Berrocal (trompettiste azimuthé tenant plus d'Iggy Pop que de Louis Armstrong) ou Arto Lindsay. Aujourd'hui en trio avec Jean-Marc Foussat et Makoto Sato sous le patronyme de Marteau Rouge, Pauvros dynamite le rock en l'enduisant de graisse free et déjante, comme si plus aucun poncif ne devait résister. Drôle d'hy­bride entre Milford Graves, le Velvet et la no-wave, ce disque vaut le détour ne serait-ce que pour sa vitalité talentueuse et son électricité tendancieuse. Ceci n'empêchant pas cela, on vous imite à compulser les différents détours du bonhomme, qu'il s'exerce sur des femmes nues (« As-tu noté, me dit-il, que les magasins de guitares ne sont jamais très loin des sex-shops ? »), fasse son Lou Reed tourmenté ou son prestidigitateur de sons, jamais fatigué. Common' Jean-François, la force est avec toi !

Marie-Pierre Bonniol

Discographie sélective

Pauvros punk : Catalogue, « Pénétration » (Hat Hut/Harmonia Mundi)
Pauvros pop : « La Belle Décisive » In Poly Sons/Orkhestra)
Pauvros chanteur de charme : « Mon homme » (Rectangle) 
Pauvros free : Pauvros/Bizien , No Man's Land (Spalax/Socadisc)
Pauvros touffu : Marteau Rouge, « Un jour se lève... » (Marteau Rouge, 91, rue R. Ridel, 92250 La Garenne-Colombes)
Pauvros blues : « Hamster Attack » (Nato)
Pauvros porno : quand tu veux ma belle.

En préparation; une collaboration avec le Japonais Keiji Haino ; et un disque de blues que Pauvros enregistrera à New York (Knitting Factory).